Pierre PARENT
Pierre PARENT
PARENT (Pierre,
Albert, Alfred)
Né le 5 février 1893 à
Péronne (Somme)
Décédé le 18 novembre 1957
à Rabat (Maroc)
Membre de la première Assemblée nationale Constituante
(Maroc)
On ne sait que très peu de choses de la jeunesse picarde de Pierre Parent,
né le 5 février 1893 à Péronne. Démobilisé en 1915 au terme d'une guerre
glorieuse, cet officier mutilé à 100 % (ablation du bras gauche) arrive dès
l'été 1916 à Casablanca en tant que colon de l'administration protectorale. En
janvier 1921, il est élu Président de la Fédération des anciens combattants du
Maroc. Installé à Azemmour, il reste ensuite dans l'antichambre des Résidents
généraux Lyautey et Steeg, ce dernier le sollicitant notamment à jouer un rôle
de tout premier ordre dans les événements du Rif durant le printemps 1926. En
effet, il est chargé de conduire une mission sanitaire dans les camps
prisonniers rifains ravagés par le typhus. Au terme de deux rencontres avec
Abd-el-Krim, qui voit en lui "l'écouteur et le négociateur idéal", Pierre
Parent reçoit la lourde mission de remettre aux services résidentiels la lettre
de reddition du chef rebelle. Le récit de cet épisode est relaté par voie de
presse avec la publication en 1928 de son carnet de route dans les
prestigieuses colonnes du Mercure de France. Loué par Aristide Briand, ce
chantre de l'amitié franco-marocaine devient en 1928 Président de
l'Inter-fédération nord-africaine des Victimes de la guerre, et par ce biais
une des figures de proue du mouvement ancien-combattant, au même titre que ses
amis intimes Léon Viala et Louis-Henri Nouveau. Dans une brochure publiée en
1934 et intitulée Français et marocains ; Réflexion d'un français moyen, Pierre
Parent délimite les contours d'une "politique indigène" à mener, en
dénonçant l'insuffisance et les limites de l'œuvre coloniale accomplie
jusqu'alors, plus particulièrement dans les domaines de l'éducation et de
l'hygiène publique. En 1937, lassé par l'unilatéralité des relations
franco-marocaines, excédé de surcroît par le carriérisme et l'opportunisme
ambiant des fonctionnaires protectoraux, il part à la rencontre des
"blédards", comme il aimait à les appeler, se faisant exploitant
d'une plantation maraîchère de quatre hectares sise à Bir Jdid Chavent,
au cœur du territoire casablançais.
Durant la seconde guerre mondiale, il entre en résistance à Alger à partir
du 1er avril 1941 au sein du réseau Henri d'Astier, des Forces Françaises
Combattantes, qu'il sert jusqu'au 10 octobre 1942 puis, se liant d'amitié avec
Yvon Morandat, devient délégué politique des Mouvements Unis de Résistance pour
le Maroc à compter de l'automne 1943.
C'est à ce dernier titre qu'il siège à l'Assemblée consultative provisoire
d'Alger dès janvier 1944, une assemblée où il se montre à la fois actif et
éloquent. Il est respectivement membre de la commission des affaires
économiques et sociales (janvier 1944), de la commission des affaires
étrangères (mai 1944), de la commission des prisonniers, déportés et pensions
(novembre 1944) et enfin de la commission de coordination des affaires
musulmanes (mars 1945), qu'il s'est, dans l'ombre de Gaston Monnerville,
évertué à instituer au nom d'un rapport déposé le 22 février 1945.
A la tribune, il prend part logiquement aux débats sur la politique
coloniale et plus spécifiquement marocaine, interrogeant les commissaires sur
certains arrêtés d'expulsion à la suite de condamnations politiques aux
colonies (1er avril 1944). Par ailleurs, il veille à l'institution au sein du
Protectorat, de comités d'entreprise dans les établissements industriels et
commerciaux (22
décembre 1944). Enfin, et conformément à son statut de grand
mutilé, il pose de multiples questions sur les modes de répartition des
pensions de guerre et s'implique pour la titularisation du personnel
auxiliaire. C'est au terme de ce nouveau souffle de l'histoire, en juin 1944,
qu'il est élu président des anciens combattants de l'Empire français et membre
du comité supérieur de l'Association de la libération du 8 novembre 1942. Devenue
figure de la vie marocaine, aimé des autochtones comme de ses collaborateurs
français, il entrevoit alors la possibilité d'exercer un premier mandat public
et de se frotter simultanément au jeu des institutions et au travail
délibératif dans la chambre de la reconstruction.
Au cours de la consultation d'octobre 1945, il préside une liste dite
d'"union démocratique et antifasciste" qui draine 17 609 voix des 65
937 suffrages exprimés, lui assurant la députation à la Constituante sous
l'étiquette "Républicain Résistant". Il est nommé membre de la
commission des pensions civiles et militaires et des victimes de la guerre et
de la répression (1945). Il prend part à la discussion de la proposition de loi
tendant au classement de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de La
Réunion comme départements français puis dépose deux motions visant
respectivement à interdire la qualité de parlementaires aux porteurs de
francisque et à intégrer le territoire marocain au sein de la toute nouvelle
Union française (mars 1946). Durant cette courte législature, il vote pour les
nationalisations de la Banque de France et des grandes banques (2 décembre 1945),
de l'électricité et du gaz (28 mars 1946) et de certaines sociétés d'assurance (24 avril 1946).
Absent des échéances électorales ultérieures, Pierre Parent se sent alors
investi d'une mission locale devenant l'un des vaillants hérauts de la cause
nationale marocaine. Dans deux ouvrages pour le moins militants, au sein des
colonnes de France Observateur et d'Al Istiqlal, quotidien des nationalistes,
il rappelle, d'une part, la "conscience ombrageuse" du Maréchal Juin
et de hauts représentants vichystes et se fait, d'autre part, "l'avocat
des pauvres" en entonnant de façon récurrente l'hymne de l'indépendance
chérifienne aux côtés de Jean Rous et Charles-André Julien.
Compilant en 1955 bon nombre de ses souvenirs coloniaux dans un ouvrage
intitulé Vérité sur le Maroc, Pierre Parent était Médaillé de la Résistance
avec Rosette. Il meurt à Rabat le 18 novembre 1957.
Pierre Parent Citoyen De Bir Jdid
Zamane vous raconte les aventures
marocaines de Pierre Parent, un grand oublié de l’Histoire, qui a pourtant joué
un rôle majeur dans la reddition de Abdelkrim El Khattabi.
Dans la grande métropole casablancaise
subsiste encore une rue qui porte un nom français. Il s’agit de la rue Pierre
Parent. Alors que la plupart des noms à consonance étrangère, qui symbolisaient
le protectorat français au Maroc, ont été supprimés par les différentes
municipalités qui ont dirigé Casablanca depuis l’indépendance, celui de Pierre
Parent perdure. Quelle est donc la raison qui fait qu’un patronyme étranger, et
de surcroît originaire de l’ancienne puissance protectrice du Maroc, orne
toujours les extrémités d’une rue marocaine ? Qui était ce Pierre Parent
que même les riverains de la rue qui porte son nom, et encore moins l’immense
majorité des Marocains, ne connaissent pas ?
Une recherche rapide sur Internet s’avère
infructueuse, ou ne donne que de maigres résultats. Pierre Parent n’a pas non
plus de fiche Wikipédia et seuls quelques libraires en ligne vendent encore
quelques-uns de ses livres que plus personne aujourd’hui, à part les studieux
de l’histoire contemporaine du Maroc, ne connaît. Et pourtant, Pierre Parent
n’est pas « n’importe qui », pourrait-on s’exclamer pour s’indigner
de l’oubli dans lequel est tombé ce curieux personnage qui a joué un rôle considérable
dans l’histoire de son pays d’origine, la France, mais aussi dans celle du
Maroc.
Les premiers pas d’un jeune
idéaliste
Pierre Parent est né le 5 février 1893 à
Péronne, une commune du nord de la France située non loin de la frontière
belge. Dans ce bourg, encerclé par la Somme et qui fait partie du département
du même nom, quasiment personne ne se souvient du nom de cet illustre
Péronnais. Aucune voie, allée, passage, école ou centre sportif ne porte son
nom.
Parent fait partie de cette génération
sacrifiée de Français qui ont été envoyés à l’abattoir de la Première guerre
mondiale. Sur le front, le jeune officier picard âgé de 21 ans a un
comportement exemplaire aux premiers mois de cette boucherie démesurée. Blessé,
il est amputé du bras gauche et démobilisé avec les honneurs. En 1916, il
arrive à Casablanca, dans le tout nouveau protectorat français au Maroc et
s’installe à Azemmour. Pierre Parent est avant tout un colon qui vient
chercher une vie meilleure dans un pays lointain et étranger mais soumis à la
France. Défricheur de terres (il deviendra par la suite maraîcher à
Casablanca), le jeune Parent, en raison de sa condition d’ancien combattant,
entretient des relations cordiales avec les autorités en place. Il a, dit-on,
ses entrées chez le maréchal Hubert Lyautey, le premier résident général de la
France au Maroc. Mais c’est seulement dix ans après son arrivée au Maroc, en
1926, qu’il entre dans l’histoire de notre pays. Cette année-là, la Guerre du
Rif fait rage depuis cinq ans et ce grand mutilé de guerre, qui vient d’être
élu président de la Fédération marocaine des mutilés et anciens combattants,
est chargé en sous-main par Théodore Steeg, le remplaçant du maréchal Lyautey,
rappelé en France après les déconvenues militaires françaises face à Abdelkrim,
d’une mission de la plus grande importance. Il doit conduire une mission
sanitaire « non-officielle » en territoire rifain, afin de porter
assistance aux milliers de militaires français qui s’entassent dans les camps
de prisonniers.
C’est ce voyage surprenant dans un monde
rifain fermé, austère mais incroyablement discipliné, qu’il racontera en 1927,
en plusieurs épisodes, au Mercure de France, une célèbre revue littéraire
doublée d’une tout aussi prestigieuse maison d’édition. De ses deux expéditions
« Au
Riff »
(qu’il transcrit avec deux « f »), Pierre Parent rapportera un
carnet de voyage dont il dira qu’il n’est peut-être pas écrit en « bon
français », mais rédigé « en toute honnêteté et en toute
sincérité ». L’intérêt de ce récit réside justement dans les mots
simples qu’utilise ce jeune idéaliste pour décrire le Rif, ses hommes et son
chef, Abdelkrim. Un pays en armes dont la hardiesse et la combativité mettent
en danger, s’inquiète Parent, « l’oeuvre française au Maroc ».
En 1925, la guerre qui oppose les Rifains
aux Espagnols, mis en déroute un peu partout dans la zone de leur protectorat,
déborde du côté de la « tache de Taza »,
ce territoire insoumis au contrôle français. Fès est alors menacée et le
maréchal Lyautey doit démissionner et rentrer en France. Des milliers de
prisonniers français, capturés durant la charge des combattants rifains contre
la zone française, sont aux mains de Abdelkrim qui les traite certes durement
mais pas plus que ses propres hommes. L’année suivante, Pierre Parent est donc
chargé de la mission impossible d’approvisionner en vivres et en médicaments
ces militaires. Quelques mois plus tôt, le contrôleur civil Léon Gabrielli
avait bien réussi à rencontrer le chef de guerre rifain, mais celui-ci ne
l’avait pas autorisé à rencontrer les prisonniers. Quand il apprend que Pierre
Parent se rend dans le Rif, Gabrielli tente de le dissuader de rejoindre « l’ennemi »
rifain. Peine perdue.
Pierre Parent a déjà noué des contacts
avec un certain Richard, rédacteur au quotidien L’Echo du Maroc, ainsi qu’avec
Azancot, un juif marocain de Tanger. Le premier lui a présenté Ali Khamlich,
qui prétend être le « cousin » de
Abdelkrim. Khamlich, que Pierre Parent appelle « Moulay Ali Khamlich »,
est chargé de transmettre une lettre au « sultan du Riff »,
une missive dans laquelle le Français explique qu’il souhaite accéder aux camps
de prisonniers. Mais cette intermédiation n’est pas couronnée de succès. A
Casablanca, alors que les préparatifs pour une improbable expédition sont en
marche, Pierre Parent reçoit la visite impromptue de Robert Montagne, un ancien
officier de marine reconverti en universitaire et chercheur en études
ethnologiques sur les populations marocaines. Montagne vient pour donner un
« coup de main », mais aussi pour annoncer à Pierre Parent qu’il part
dans quelques jours dans le Rif pour rencontrer Abdelkrim et rendre visite aux
prisonniers français.
Dans un premier temps, Parent doute des
possibilités de Montagne de parvenir jusqu’au Rif, mais quelques jours plus
tard, un « rekkas », un messager marocain, vient lui remettre une
lettre. Elle a été expédiée par Robert Montagne depuis les hauteurs du Rif. De
plus, il a réussi là où Gabrielli avait échoué : rencontrer les « captifs
français ». Divine surprise, l’émir invite également Pierre
Parent à lui rendre visite et, pour ce faire, lui envoie « Si
Boutahar », un autre « cousin » de
Abdelkrim, chargé de l’escorter à travers la ligne de front.
Première surprise : le
téléphone
Nous sommes alors à la fin du mois de
mars 1926 et le ramadan impose une certaine trêve entre les belligérants.
Robert Montagne accompagne Pierre Parent jusqu’à Taza, puis le laisse
s’engouffrer dans le pays où existe, comme il écrira dans le Mercure de
France, un autre « Maghzen » : le « Maghzen »
rifain. La description que fait Parent du Rif, dès qu’il traverse la ligne de
front, est celle d’un pays en guerre, sillonné par des harkas et des messagers,
mais c’est aussi un Etat d’ordre, avec des combattants disciplinés et
efficients, et des moyens avant-gardistes. Par exemple, au premier contrôle, le
Français, qui est reçu par un vieux caïd, remarque tout de suite dans le poste
de commandement de celui-ci « un téléphone de campagne installé
dans un coin ». C’est peut-être un artifice… Des combattants
« indigènes » communiquant entre eux par téléphone ?
C’est inimaginable en 1926.
Mais, le 30 mars, quand il arrive à
Tamassint, aux alentours d’Al Hoceïma, Pierre Parent n’a plus de doutes.
Abdelkrim a bien compris que l’une des clefs du succès militaire quand on fait
la guerre c’est la communication entre le noyau dur, l’état-major, et la masse,
les troupes. « Nous croisons de nombreuses lignes téléphoniques allant
un peu dans tous les sens. Certaines sont posées à même la terre ;
pour d’autres, le fil est enroulé autour d’une grosse branche plantée en terre ;
d’autres lignes enfin ont été montées suivant la technique moderne avec
isolateurs et poteaux spéciaux », écrit l’émissaire français dans
son carnet de notes. Autre surprise, il se rend compte que la France et
l’Espagne n’ont pas en face d’eux un « Rogui »,
genre Bou Hmara, ou un quelconque rebelle comme il y en a tant eu dans
l’histoire du Maroc. « Le Rif, s’émerveille en silence
Parent, est un petit pays qui nous a obligés à amener 100 000 hommes
au Maroc ».
La maintenance des installations et des
lignes téléphoniques a été confiée à des étrangers, dont plusieurs Allemands,
et ces derniers sont contrôlés par un caïd rifain. Le pays est sillonné de
poteaux et de câbles de toutes sortes. Tous les caïds de Abdelkrim possèdent
une ligne téléphonique. Même la modeste maison de Tamassint où Pierre Parent
est logé est reliée au réseau téléphonique. D’ailleurs, quelques mois plus
tard, lors de la brutale offensive franco-espagnole contre la région, la
première chose que feront les Français sera de faire saboter ces lignes par des
collaborateurs et des espions.
Portrait de l’« Emir »
Le lendemain de son arrivée, Pierre
Parent fait la connaissance de Mohamed Azerkane, le mythique ministre de la
Guerre de Abdelkrim. Azerkane, que le Français trouve
« ventripotent », a juste le temps de commencer la conversation quand
un brouhaha et des bruits de gardes qui présentent les armes se font entendre.
Le ministre rifain lui demande alors de le suivre sous une tente, au seuil de
laquelle se tient un « homme petit, assez gros, qui
s’incline et [lui] souhaite la bienvenue : c’est Abdelkrim ».
En bon observateur, l’envoyé spécial de Steeg scrute l’intérieur de la tente
qui contient un mobilier qui « pourrait bien servir dans une
maison européenne ». Il observe aussi l’émir qui boite légèrement et qui,
s’étant rendu compte de l’intérêt du Français pour sa jambe, lance en souriant :
« un
souvenir des geôles espagnoles ». Le chef rifain s’était, des
années plutôt, fracturé la jambe lors d’une tentative d’évasion d’un
pénitencier de Melilia. Mal soigné, il en a gardé des séquelles jusqu’à la fin
de sa vie.
Parent poursuit son observation.
Abdelkrim est vêtu de façon « extrêmement simple »,
note-t-il. Il est très propre et il porte « un turban d’une blancheur
éblouissante, une jellaba gri-beige, les pieds nus dans des babouches ».
Surtout, le Français décèle chez son interlocuteur « une
intelligence et une volonté peu commune », doublée d’une « grande
habilité » pour conduire la conversation. Le courant passe entre
les deux hommes et, en preuve de sa bonne volonté, Abdelkrim autorise son hôte
à visiter tous les prisonniers des camps, les Français bien sûr, mais aussi les
Espagnols et les Marocains, ainsi que les étrangers qui forment partie des
contingents « indigènes » des armées coloniales française
et espagnole. Des Sénégalais, des Algériens et des Allemands.
Dernier geste de correction du Rifain
envers son hôte, il refuse de lire le courrier qu’apporte le Français aux
prisonniers. « Dans le Riff, il n’y a aucune censure »,
s’exclame-t-il. Toutefois, avant de quitter Parent, Abdelkrim l’avertit :
« Nous
sommes dans le Riff et il ne faut pas t’attendre à y trouver des palais comme à
Paris »,
puis il ajoute : « Ce qui convient à un Rifain ne
peut contenter un Français ».
Prisonniers des Rifains
En se dirigeant vers les camps de
prisonniers, Pierre Parent médite la dernière phrase de l’émir. Au premier
contact avec ses compatriotes, il comprend. C’est un spectacle désolant. Sales,
amaigris, déguenillés, couverts de vermines et presque tous nu-pieds, les
militaires français sont dans un état lamentable. Déprimés, la plupart d’entre
eux pleurent quand ils le voient. Ils évoquent « l’enfer ». Ces
déchets d’hommes, sortis pourtant victorieux de la Grande guerre, n’ont pas
fait le poids lors des combats au corps à corps avec les Rifains. Il n’empêche,
contrairement aux autres prisonniers, ils ne sont astreints à aucune autre
corvée que celle qui a trait à leurs besoins personnels. Ce sont des
prisonniers, mais pas des esclaves. Même si, comme le constate Parent, de la
cinquantaine de prisonniers de ce camp il ne reste plus que 32 survivants. Mais
c’est la guerre, en convient l’ex-combattant de 1914-18. Et en aparté, tous les
prisonniers reconnaissent que sans la discipline des soldats de Abdelkrim, ils
auraient été massacrés par la population locale au moment de leur capture.
Cette relative indulgence n’est pas
appliquée à tout le monde. Parent découvre peu à peu qu’il y a réellement une
différence de traitement, que l’on soit français ou espagnol. Les militaires
espagnols, officiers compris, sont rudoyés et doivent travailler aux champs. Au
moindre bombardement espagnol sur les souks rifains, fréquentés surtout par des
femmes en temps de guerre, les Rifains se vengent sur leurs captifs en
massacrant quelques-uns. Ensuite, ils jettent leurs cadavres dans des fossés à
l’air libre ou les donnent en pâture aux chiens et aux chacals. La bataille
d’Anoual en 1921, qui a signifié la destruction quasi totale de l’armée du
général Manuel Fernandez Silvestre, un fait sans précédent dans l’histoire
militaire de l’Espagne, n’est pas étrangère à ce traitement. Depuis le début de
l’occupation espagnole, le Rifain, qui ne considère pas l’Espagne comme une
grande puissance à l’instar de la France, n’a que mépris pour elle et pour ceux
qu’elle a envoyés pour le soumettre.
Après la distribution de vivres et de
médicaments, Pierre Parent repart vers la zone française avec le sentiment du
devoir accompli. Avant de partir, il est reçu par Abdelkrim. Une rencontre qui
scellera une sorte de pacte de considération réciproque. Il reviendra un mois
plus tard, en mai, cette fois-ci dans des conditions dramatiques. L’imposante
armée envoyée par la France et dirigée par le maréchal Philippe Pétain a joint
ses forces à celles de l’armée espagnole pour mettre un terme à l’existence de
la jeune république du Rif.
Vers la reddition
La France veut récupérer ses prisonniers
et c’est à Pierre Parent que revient cette difficile mission. Accompagné du
docteur Maurice Gaud et de quelques autres médecins, il retraverse la ligne de
front et rejoint le QG de Abdelkrim. La guerre fait encore plus rage qu’un mois
auparavant. La France et l’Espagne ont décidé de lancer une attaque d’une
brutalité inouïe. 450 000 hommes sont concernés. Des avions déversent
massivement du gaz moutarde sur les positions rifaines, ainsi que sur les
civils. L’offensive est généralisée, par air, terre et mer.
Pierre Parent et ses compagnons prennent
en charge des prisonniers et se frayent un chemin dans le chaos, les canonnades
et les bombardements aériens. Sous la surveillance de combattants rifains, ils
transportent difficilement des hommes affaiblis, touchés par la grippe ou, pire
encore, par le typhus. On change un camp pour un autre. Les prisonniers qui
tombent ou trop faibles pour se déplacer sont achevés au fusil, parfois même à
coups de pierre. Toujours en cachette, pour ne pas offusquer Parent et le
docteur Gaud. Mais ce sont surtout les Espagnols et les étrangers non français
qui font les frais de ces liquidations. C’est à ce moment, lors d’une
conversation à bâtons rompus avec un proche de Abdelkrim, que Pierre Parent
lance une proposition en l’air. Face au compresseur franco-espagnol, il lui
semble que la guerre est perdue pour les Rifains. Ne vaudrait-il pas mieux que
l’émir, pour préserver la vie de ses administrés, se rende et « s’en
remette à la générosité de la France », réfléchit-il à voix haute ?
Quelques jours plus tard, le 21 mai, l’oncle de Abdelkrim, Abdeslam El Khattabi, qui est aussi son homme de confiance, fait parvenir un message à Parent. Que signifie « s’en remettre à la générosité de la France ? », lui demande-t-il. Ce à quoi le Français répond que la France se montrerait « généreuse » envers Abdelkrim et sa famille s’il se rendait sans plus tarder. Le désespoir rifain est à son comble. Si, sur le terrain, la valeur d’un combattant rifain équivaut à quatre ou cinq militaires étrangers, ce calcul n’a plus de sens quand les 15 000 ou 20 000 combattants rifains, sans l’appui de l’aviation et d’une puissante artillerie lourde, doivent se battre contre 450 000 hommes. Parent apprend que Abdelkrim a bien songé un moment à aller combattre directement au front à la tête des ses harkas. Un suicide pour l’honneur, dont il sera dissuadé par ses proches.
Quelques jours plus tard, le 21 mai, l’oncle de Abdelkrim, Abdeslam El Khattabi, qui est aussi son homme de confiance, fait parvenir un message à Parent. Que signifie « s’en remettre à la générosité de la France ? », lui demande-t-il. Ce à quoi le Français répond que la France se montrerait « généreuse » envers Abdelkrim et sa famille s’il se rendait sans plus tarder. Le désespoir rifain est à son comble. Si, sur le terrain, la valeur d’un combattant rifain équivaut à quatre ou cinq militaires étrangers, ce calcul n’a plus de sens quand les 15 000 ou 20 000 combattants rifains, sans l’appui de l’aviation et d’une puissante artillerie lourde, doivent se battre contre 450 000 hommes. Parent apprend que Abdelkrim a bien songé un moment à aller combattre directement au front à la tête des ses harkas. Un suicide pour l’honneur, dont il sera dissuadé par ses proches.
Finalement, l’émir envoie deux lettres à
Pierre Parent avec pour mission de les remettre en mains propres à leurs deux
destinataires, le résident français Théodore Steeg et le haut commissaire
espagnol, le général José Sanjurjo. Abdelkrim a décidé de « s’en
remettre à la générosité de la France ». Au passage, il annonce à Parent
que les prisonniers seront libérés. Avec le sentiment d’être le messager qui
porte deux missives qui vont mettre fin à la guerre, Pierre Parent se rend vers
les lignes espagnoles, près d’Ajdir, où il est pris en charge par les Espagnols
puis dirigé vers Mélilia où il est reçu par le général Sanjurjo. Quant à la
lettre destinée à Steeg, il la remet en mains propres à son destinataire à Fès.
Le temps des adieux
Pierre Parent ne reviendra plus au Rif.
Trois jours après son arrivée à Fès, il apprend que l’émir s’est rendu aux
Français. D’autres intermédiaires se sont introduits dans l’entourage de
Abdelkrim pour le pousser à une reddition sans condition. Le 21 août,
Abdelkrim embarque avec sa famille dans un bateau en partance vers l’exil.
Avant de partir, il demande à voir Pierre Parent. Après une brève conversation
chargée d’émotion, Abdelkrim se laisse aller. Il est triste de quitter son
pays, il n’a jamais voulu la guerre avec les Français. « Adieu ! »,
dira-t-il à Parent avant d’entreprendre le long chemin vers l’île de la
Réunion, un caillou situé dans l’océan Pacifique.
Pierre Parent restera au Maroc. Au début
de la Seconde guerre mondiale, il s’engage dans la résistance. Député du
premier parlement de l’après-guerre, il est aussi l’un de ces rares Français du
Maroc à prendre fait et cause pour le nationalisme marocain. L’homme qui a
convaincu Abdelkrim de se rendre meurt à Rabat en 1957. Dans un Maroc
indépendant.
Pierre Parent, le Marocain
La seule source, hors archives, qui nous
renseigne sur les péripéties vécues par Pierre Parent au Maroc et ailleurs, se
trouve dans les cartons des sous-sols de l’Assemblée nationale, où il est passé
en tant que député. D’après la fiche technique du catalogue répertoriant les
biographies de tous les membres des parlements successifs depuis le XIXe
siècle, « on ne sait que très peu de choses de la jeunesse » de
Pierre Parent. Mais la suite de sa carrière politique est mieux connue.
Ainsi, après la Guerre du Rif
(1921-1927), il devient le chantre de l’amitié franco-marocaine, puis il est
élu en 1928 président de l’Inter-fédération nord-africaine des victimes de la
guerre. En 1934, il est l’auteur d’une brochure intitulée Français et
Marocains. Réflexion d’un Français moyen, où il dénonce « l’insuffisance
et les limites de l’œuvre coloniale accomplie jusqu’alors, plus
particulièrement dans les domaines de l’éducation et de l’hygiène
publique ». Avec le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, ce héros
de la guerre de 1914-18 rejoint la résistance à Alger dès 1941 et, en 1943,
repart au Maroc comme délégué d’un mouvement de résistance. C’est à ce titre
qu’il siège à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger dès janvier 1944, une
sorte de parlement en exil. Elu président des anciens combattants de l’empire
français, il devient une figure de la vie marocaine, « aimé des
autochtones comme de ses collaborateurs français ».
Lors des premières élections de
l’après-guerre, en octobre 1945, Pierre Parent préside une liste dite d’Union
démocratique et antifasciste qui recueille 17 609 voix des 65 937 suffrages
exprimés au Maroc. Il est alors élu sous l’étiquette « républicain
résistant ». Par la suite, il ne se représentera plus aux élections,
préférant s’investir dans l’action locale, au Maroc. A partir de ce moment, il
adhère, avec d’autres grandes consciences françaises, à la cause marocaine,
c’est-à-dire à l’indépendance du pays. Comme d’autres Français libéraux, il
sera expulsé du Maroc en 1952. Il écrit alors deux essais pour défendre ses
idées et pour alerter les Français de l’Hexagone du « problème
marocain ». Dans l’un d’eux, il s’en prend particulièrement au maréchal
Alphonse Juin qui est devenu, après son départ de la Résidence générale,
l’éminence grise de son successeur, le général Augustin Guillaume. Parent en
rappelle notamment le passé vichyste. Quand il rend l’âme en 1957, le colon
Pierre Parent est, depuis longtemps, un Marocain de cœur.
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