Pierre PARENT


Pierre PARENT


PARENT (Pierre, Albert, Alfred)
Né le 5 février 1893 à Péronne (Somme)
Décédé le 18 novembre 1957 à Rabat (Maroc)
Membre de la première Assemblée nationale Constituante (Maroc)
On ne sait que très peu de choses de la jeunesse picarde de Pierre Parent, né le 5 février 1893 à Péronne. Démobilisé en 1915 au terme d'une guerre glorieuse, cet officier mutilé à 100 % (ablation du bras gauche) arrive dès l'été 1916 à Casablanca en tant que colon de l'administration protectorale. En janvier 1921, il est élu Président de la Fédération des anciens combattants du Maroc. Installé à Azemmour, il reste ensuite dans l'antichambre des Résidents généraux Lyautey et Steeg, ce dernier le sollicitant notamment à jouer un rôle de tout premier ordre dans les événements du Rif durant le printemps 1926. En effet, il est chargé de conduire une mission sanitaire dans les camps prisonniers rifains ravagés par le typhus. Au terme de deux rencontres avec Abd-el-Krim, qui voit en lui "l'écouteur et le négociateur idéal", Pierre Parent reçoit la lourde mission de remettre aux services résidentiels la lettre de reddition du chef rebelle. Le récit de cet épisode est relaté par voie de presse avec la publication en 1928 de son carnet de route dans les prestigieuses colonnes du Mercure de France. Loué par Aristide Briand, ce chantre de l'amitié franco-marocaine devient en 1928 Président de l'Inter-fédération nord-africaine des Victimes de la guerre, et par ce biais une des figures de proue du mouvement ancien-combattant, au même titre que ses amis intimes Léon Viala et Louis-Henri Nouveau. Dans une brochure publiée en 1934 et intitulée Français et marocains ; Réflexion d'un français moyen, Pierre Parent délimite les contours d'une "politique indigène" à mener, en dénonçant l'insuffisance et les limites de l'œuvre coloniale accomplie jusqu'alors, plus particulièrement dans les domaines de l'éducation et de l'hygiène publique. En 1937, lassé par l'unilatéralité des relations franco-marocaines, excédé de surcroît par le carriérisme et l'opportunisme ambiant des fonctionnaires protectoraux, il part à la rencontre des "blédards", comme il aimait à les appeler, se faisant exploitant d'une plantation maraîchère de quatre hectares sise à Bir Jdid Chavent, au cœur du territoire casablançais.
Durant la seconde guerre mondiale, il entre en résistance à Alger à partir du 1er avril 1941 au sein du réseau Henri d'Astier, des Forces Françaises Combattantes, qu'il sert jusqu'au 10 octobre 1942 puis, se liant d'amitié avec Yvon Morandat, devient délégué politique des Mouvements Unis de Résistance pour le Maroc à compter de l'automne 1943.
C'est à ce dernier titre qu'il siège à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger dès janvier 1944, une assemblée où il se montre à la fois actif et éloquent. Il est respectivement membre de la commission des affaires économiques et sociales (janvier 1944), de la commission des affaires étrangères (mai 1944), de la commission des prisonniers, déportés et pensions (novembre 1944) et enfin de la commission de coordination des affaires musulmanes (mars 1945), qu'il s'est, dans l'ombre de Gaston Monnerville, évertué à instituer au nom d'un rapport déposé le 22 février 1945.
A la tribune, il prend part logiquement aux débats sur la politique coloniale et plus spécifiquement marocaine, interrogeant les commissaires sur certains arrêtés d'expulsion à la suite de condamnations politiques aux colonies (1er avril 1944). Par ailleurs, il veille à l'institution au sein du Protectorat, de comités d'entreprise dans les établissements industriels et commerciaux (22 décembre 1944). Enfin, et conformément à son statut de grand mutilé, il pose de multiples questions sur les modes de répartition des pensions de guerre et s'implique pour la titularisation du personnel auxiliaire. C'est au terme de ce nouveau souffle de l'histoire, en juin 1944, qu'il est élu président des anciens combattants de l'Empire français et membre du comité supérieur de l'Association de la libération du 8 novembre 1942. Devenue figure de la vie marocaine, aimé des autochtones comme de ses collaborateurs français, il entrevoit alors la possibilité d'exercer un premier mandat public et de se frotter simultanément au jeu des institutions et au travail délibératif dans la chambre de la reconstruction.
Au cours de la consultation d'octobre 1945, il préside une liste dite d'"union démocratique et antifasciste" qui draine 17 609 voix des 65 937 suffrages exprimés, lui assurant la députation à la Constituante sous l'étiquette "Républicain Résistant". Il est nommé membre de la commission des pensions civiles et militaires et des victimes de la guerre et de la répression (1945). Il prend part à la discussion de la proposition de loi tendant au classement de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de La Réunion comme départements français puis dépose deux motions visant respectivement à interdire la qualité de parlementaires aux porteurs de francisque et à intégrer le territoire marocain au sein de la toute nouvelle Union française (mars 1946). Durant cette courte législature, il vote pour les nationalisations de la Banque de France et des grandes banques (2 décembre 1945), de l'électricité et du gaz (28 mars 1946) et de certaines sociétés d'assurance (24 avril 1946).
Absent des échéances électorales ultérieures, Pierre Parent se sent alors investi d'une mission locale devenant l'un des vaillants hérauts de la cause nationale marocaine. Dans deux ouvrages pour le moins militants, au sein des colonnes de France Observateur et d'Al Istiqlal, quotidien des nationalistes, il rappelle, d'une part, la "conscience ombrageuse" du Maréchal Juin et de hauts représentants vichystes et se fait, d'autre part, "l'avocat des pauvres" en entonnant de façon récurrente l'hymne de l'indépendance chérifienne aux côtés de Jean Rous et Charles-André Julien.
Compilant en 1955 bon nombre de ses souvenirs coloniaux dans un ouvrage intitulé Vérité sur le Maroc, Pierre Parent était Médaillé de la Résistance avec Rosette. Il meurt à Rabat le 18 novembre 1957.

Pierre Parent Citoyen De Bir Jdid
Zamane vous raconte les aventures marocaines de Pierre Parent, un grand oublié de l’Histoire, qui a pourtant joué un rôle majeur dans la reddition de Abdelkrim El Khattabi.
Dans la grande métropole casablancaise subsiste encore une rue qui porte un nom français. Il s’agit de la rue Pierre Parent. Alors que la plupart des noms à consonance étrangère, qui symbolisaient le protectorat français au Maroc, ont été supprimés par les différentes municipalités qui ont dirigé Casablanca depuis l’indépendance, celui de Pierre Parent perdure. Quelle est donc la raison qui fait qu’un patronyme étranger, et de surcroît originaire de l’ancienne puissance protectrice du Maroc, orne toujours les extrémités d’une rue marocaine ? Qui était ce Pierre Parent que même les riverains de la rue qui porte son nom, et encore moins l’immense majorité des Marocains, ne connaissent pas ?
Une recherche rapide sur Internet s’avère infructueuse, ou ne donne que de maigres résultats. Pierre Parent n’a pas non plus de fiche Wikipédia et seuls quelques libraires en ligne vendent encore quelques-uns de ses livres que plus personne aujourd’hui, à part les studieux de l’histoire contemporaine du Maroc, ne connaît. Et pourtant, Pierre Parent n’est pas « n’importe qui », pourrait-on s’exclamer pour s’indigner de l’oubli dans lequel est tombé ce curieux personnage qui a joué un rôle considérable dans l’histoire de son pays d’origine, la France, mais aussi dans celle du Maroc.
Les premiers pas d’un jeune idéaliste
Pierre Parent est né le 5 février 1893 à Péronne, une commune du nord de la France située non loin de la frontière belge. Dans ce bourg, encerclé par la Somme et qui fait partie du département du même nom, quasiment personne ne se souvient du nom de cet illustre Péronnais. Aucune voie, allée, passage, école ou centre sportif ne porte son nom.
Parent fait partie de cette génération sacrifiée de Français qui ont été envoyés à l’abattoir de la Première guerre mondiale. Sur le front, le jeune officier picard âgé de 21 ans a un comportement exemplaire aux premiers mois de cette boucherie démesurée. Blessé, il est amputé du bras gauche et démobilisé avec les honneurs. En 1916, il arrive à Casablanca, dans le tout nouveau protectorat français au Maroc et s’installe à Azemmour. Pierre Parent est avant tout un colon qui vient chercher une vie meilleure dans un pays lointain et étranger mais soumis à la France. Défricheur de terres (il deviendra par la suite maraîcher à Casablanca), le jeune Parent, en raison de sa condition d’ancien combattant, entretient des relations cordiales avec les autorités en place. Il a, dit-on, ses entrées chez le maréchal Hubert Lyautey, le premier résident général de la France au Maroc. Mais c’est seulement dix ans après son arrivée au Maroc, en 1926, qu’il entre dans l’histoire de notre pays. Cette année-là, la Guerre du Rif fait rage depuis cinq ans et ce grand mutilé de guerre, qui vient d’être élu président de la Fédération marocaine des mutilés et anciens combattants, est chargé en sous-main par Théodore Steeg, le remplaçant du maréchal Lyautey, rappelé en France après les déconvenues militaires françaises face à Abdelkrim, d’une mission de la plus grande importance. Il doit conduire une mission sanitaire « non-officielle » en territoire rifain, afin de porter assistance aux milliers de militaires français qui s’entassent dans les camps de prisonniers.
C’est ce voyage surprenant dans un monde rifain fermé, austère mais incroyablement discipliné, qu’il racontera en 1927, en plusieurs épisodes, au Mercure de France, une célèbre revue littéraire doublée d’une tout aussi prestigieuse maison d’édition. De ses deux expéditions «Au Riff» (qu’il transcrit avec deux «f»), Pierre Parent rapportera un carnet de voyage dont il dira qu’il n’est peut-être pas écrit en «bon français», mais rédigé «en toute honnêteté et en toute sincérité». L’intérêt de ce récit réside justement dans les mots simples qu’utilise ce jeune idéaliste pour décrire le Rif, ses hommes et son chef, Abdelkrim. Un pays en armes dont la hardiesse et la combativité mettent en danger, s’inquiète Parent, «l’oeuvre française au Maroc».
En 1925, la guerre qui oppose les Rifains aux Espagnols, mis en déroute un peu partout dans la zone de leur protectorat, déborde du côté de la «tache de Taza», ce territoire insoumis au contrôle français. Fès est alors menacée et le maréchal Lyautey doit démissionner et rentrer en France. Des milliers de prisonniers français, capturés durant la charge des combattants rifains contre la zone française, sont aux mains de Abdelkrim qui les traite certes durement mais pas plus que ses propres hommes. L’année suivante, Pierre Parent est donc chargé de la mission impossible d’approvisionner en vivres et en médicaments ces militaires. Quelques mois plus tôt, le contrôleur civil Léon Gabrielli avait bien réussi à rencontrer le chef de guerre rifain, mais celui-ci ne l’avait pas autorisé à rencontrer les prisonniers. Quand il apprend que Pierre Parent se rend dans le Rif, Gabrielli tente de le dissuader de rejoindre «l’ennemi» rifain. Peine perdue.
Pierre Parent a déjà noué des contacts avec un certain Richard, rédacteur au quotidien L’Echo du Maroc, ainsi qu’avec Azancot, un juif marocain de Tanger. Le premier lui a présenté Ali Khamlich, qui prétend être le «cousin» de Abdelkrim. Khamlich, que Pierre Parent appelle «Moulay Ali Khamlich», est chargé de transmettre une lettre au «sultan du Riff», une missive dans laquelle le Français explique qu’il souhaite accéder aux camps de prisonniers. Mais cette intermédiation n’est pas couronnée de succès. A Casablanca, alors que les préparatifs pour une improbable expédition sont en marche, Pierre Parent reçoit la visite impromptue de Robert Montagne, un ancien officier de marine reconverti en universitaire et chercheur en études ethnologiques sur les populations marocaines. Montagne vient pour donner un « coup de main », mais aussi pour annoncer à Pierre Parent qu’il part dans quelques jours dans le Rif pour rencontrer Abdelkrim et rendre visite aux prisonniers français.
Dans un premier temps, Parent doute des possibilités de Montagne de parvenir jusqu’au Rif, mais quelques jours plus tard, un « rekkas », un messager marocain, vient lui remettre une lettre. Elle a été expédiée par Robert Montagne depuis les hauteurs du Rif. De plus, il a réussi là où Gabrielli avait échoué : rencontrer les «captifs français». Divine surprise, l’émir invite également Pierre Parent à lui rendre visite et, pour ce faire, lui envoie «Si Boutahar», un autre «cousin» de Abdelkrim, chargé de l’escorter à travers la ligne de front.
Première surprise : le téléphone
Nous sommes alors à la fin du mois de mars 1926 et le ramadan impose une certaine trêve entre les belligérants. Robert Montagne accompagne Pierre Parent jusqu’à Taza, puis le laisse s’engouffrer dans le pays où existe, comme il écrira dans le Mercure de France, un autre «Maghzen»: le «Maghzen» rifain. La description que fait Parent du Rif, dès qu’il traverse la ligne de front, est celle d’un pays en guerre, sillonné par des harkas et des messagers, mais c’est aussi un Etat d’ordre, avec des combattants disciplinés et efficients, et des moyens avant-gardistes. Par exemple, au premier contrôle, le Français, qui est reçu par un vieux caïd, remarque tout de suite dans le poste de commandement de celui-ci «un téléphone de campagne installé dans un coin». C’est peut-être un artifice… Des combattants « indigènes» communiquant entre eux par téléphone? C’est inimaginable en 1926.
Mais, le 30 mars, quand il arrive à Tamassint, aux alentours d’Al Hoceïma, Pierre Parent n’a plus de doutes. Abdelkrim a bien compris que l’une des clefs du succès militaire quand on fait la guerre c’est la communication entre le noyau dur, l’état-major, et la masse, les troupes. «Nous croisons de nombreuses lignes téléphoniques allant un peu dans tous les sens. Certaines sont posées à même la terre; pour d’autres, le fil est enroulé autour d’une grosse branche plantée en terre; d’autres lignes enfin ont été montées suivant la technique moderne avec isolateurs et poteaux spéciaux», écrit l’émissaire français dans son carnet de notes. Autre surprise, il se rend compte que la France et l’Espagne n’ont pas en face d’eux un «Rogui», genre Bou Hmara, ou un quelconque rebelle comme il y en a tant eu dans l’histoire du Maroc. «Le Rif, s’émerveille en silence Parent, est un petit pays qui nous a obligés à amener 100 000 hommes au Maroc».
La maintenance des installations et des lignes téléphoniques a été confiée à des étrangers, dont plusieurs Allemands, et ces derniers sont contrôlés par un caïd rifain. Le pays est sillonné de poteaux et de câbles de toutes sortes. Tous les caïds de Abdelkrim possèdent une ligne téléphonique. Même la modeste maison de Tamassint où Pierre Parent est logé est reliée au réseau téléphonique. D’ailleurs, quelques mois plus tard, lors de la brutale offensive franco-espagnole contre la région, la première chose que feront les Français sera de faire saboter ces lignes par des collaborateurs et des espions.
Portrait de l’«Emir»
Le lendemain de son arrivée, Pierre Parent fait la connaissance de Mohamed Azerkane, le mythique ministre de la Guerre de Abdelkrim. Azerkane, que le Français trouve « ventripotent », a juste le temps de commencer la conversation quand un brouhaha et des bruits de gardes qui présentent les armes se font entendre. Le ministre rifain lui demande alors de le suivre sous une tente, au seuil de laquelle se tient un «homme petit, assez gros, qui s’incline et [lui] souhaite la bienvenue : c’est Abdelkrim». En bon observateur, l’envoyé spécial de Steeg scrute l’intérieur de la tente qui contient un mobilier qui «pourrait bien servir dans une maison européenne». Il observe aussi l’émir qui boite légèrement et qui, s’étant rendu compte de l’intérêt du Français pour sa jambe, lance en souriant: «un souvenir des geôles espagnoles». Le chef rifain s’était, des années plutôt, fracturé la jambe lors d’une tentative d’évasion d’un pénitencier de Melilia. Mal soigné, il en a gardé des séquelles jusqu’à la fin de sa vie.
Parent poursuit son observation. Abdelkrim est vêtu de façon «extrêmement simple», note-t-il. Il est très propre et il porte «un turban d’une blancheur éblouissante, une jellaba gri-beige, les pieds nus dans des babouches». Surtout, le Français décèle chez son interlocuteur «une intelligence et une volonté peu commune», doublée d’une «grande habilité» pour conduire la conversation. Le courant passe entre les deux hommes et, en preuve de sa bonne volonté, Abdelkrim autorise son hôte à visiter tous les prisonniers des camps, les Français bien sûr, mais aussi les Espagnols et les Marocains, ainsi que les étrangers qui forment partie des contingents «indigènes» des armées coloniales française et espagnole. Des Sénégalais, des Algériens et des Allemands.
Dernier geste de correction du Rifain envers son hôte, il refuse de lire le courrier qu’apporte le Français aux prisonniers. «Dans le Riff, il n’y a aucune censure», s’exclame-t-il. Toutefois, avant de quitter Parent, Abdelkrim l’avertit : «Nous sommes dans le Riff et il ne faut pas t’attendre à y trouver des palais comme à Paris», puis il ajoute: «Ce qui convient à un Rifain ne peut contenter un Français».
Prisonniers des Rifains
En se dirigeant vers les camps de prisonniers, Pierre Parent médite la dernière phrase de l’émir. Au premier contact avec ses compatriotes, il comprend. C’est un spectacle désolant. Sales, amaigris, déguenillés, couverts de vermines et presque tous nu-pieds, les militaires français sont dans un état lamentable. Déprimés, la plupart d’entre eux pleurent quand ils le voient. Ils évoquent «l’enfer». Ces déchets d’hommes, sortis pourtant victorieux de la Grande guerre, n’ont pas fait le poids lors des combats au corps à corps avec les Rifains. Il n’empêche, contrairement aux autres prisonniers, ils ne sont astreints à aucune autre corvée que celle qui a trait à leurs besoins personnels. Ce sont des prisonniers, mais pas des esclaves. Même si, comme le constate Parent, de la cinquantaine de prisonniers de ce camp il ne reste plus que 32 survivants. Mais c’est la guerre, en convient l’ex-combattant de 1914-18. Et en aparté, tous les prisonniers reconnaissent que sans la discipline des soldats de Abdelkrim, ils auraient été massacrés par la population locale au moment de leur capture.
Cette relative indulgence n’est pas appliquée à tout le monde. Parent découvre peu à peu qu’il y a réellement une différence de traitement, que l’on soit français ou espagnol. Les militaires espagnols, officiers compris, sont rudoyés et doivent travailler aux champs. Au moindre bombardement espagnol sur les souks rifains, fréquentés surtout par des femmes en temps de guerre, les Rifains se vengent sur leurs captifs en massacrant quelques-uns. Ensuite, ils jettent leurs cadavres dans des fossés à l’air libre ou les donnent en pâture aux chiens et aux chacals. La bataille d’Anoual en 1921, qui a signifié la destruction quasi totale de l’armée du général Manuel Fernandez Silvestre, un fait sans précédent dans l’histoire militaire de l’Espagne, n’est pas étrangère à ce traitement. Depuis le début de l’occupation espagnole, le Rifain, qui ne considère pas l’Espagne comme une grande puissance à l’instar de la France, n’a que mépris pour elle et pour ceux qu’elle a envoyés pour le soumettre.
Après la distribution de vivres et de médicaments, Pierre Parent repart vers la zone française avec le sentiment du devoir accompli. Avant de partir, il est reçu par Abdelkrim. Une rencontre qui scellera une sorte de pacte de considération réciproque. Il reviendra un mois plus tard, en mai, cette fois-ci dans des conditions dramatiques. L’imposante armée envoyée par la France et dirigée par le maréchal Philippe Pétain a joint ses forces à celles de l’armée espagnole pour mettre un terme à l’existence de la jeune république du Rif.
Vers la reddition
La France veut récupérer ses prisonniers et c’est à Pierre Parent que revient cette difficile mission. Accompagné du docteur Maurice Gaud et de quelques autres médecins, il retraverse la ligne de front et rejoint le QG de Abdelkrim. La guerre fait encore plus rage qu’un mois auparavant. La France et l’Espagne ont décidé de lancer une attaque d’une brutalité inouïe. 450 000 hommes sont concernés. Des avions déversent massivement du gaz moutarde sur les positions rifaines, ainsi que sur les civils. L’offensive est généralisée, par air, terre et mer.
Pierre Parent et ses compagnons prennent en charge des prisonniers et se frayent un chemin dans le chaos, les canonnades et les bombardements aériens. Sous la surveillance de combattants rifains, ils transportent difficilement des hommes affaiblis, touchés par la grippe ou, pire encore, par le typhus. On change un camp pour un autre. Les prisonniers qui tombent ou trop faibles pour se déplacer sont achevés au fusil, parfois même à coups de pierre. Toujours en cachette, pour ne pas offusquer Parent et le docteur Gaud. Mais ce sont surtout les Espagnols et les étrangers non français qui font les frais de ces liquidations. C’est à ce moment, lors d’une conversation à bâtons rompus avec un proche de Abdelkrim, que Pierre Parent lance une proposition en l’air. Face au compresseur franco-espagnol, il lui semble que la guerre est perdue pour les Rifains. Ne vaudrait-il pas mieux que l’émir, pour préserver la vie de ses administrés, se rende et «s’en remette à la générosité de la France», réfléchit-il à voix haute?
Quelques jours plus tard, le 21 mai, l’oncle de Abdelkrim, Abdeslam El Khattabi, qui est aussi son homme de confiance, fait parvenir un message à Parent. Que signifie « s’en remettre à la générosité de la France ? »,  lui demande-t-il. Ce à quoi le Français répond que la France se montrerait «généreuse» envers Abdelkrim et sa famille s’il se rendait sans plus tarder. Le désespoir rifain est à son comble. Si, sur le terrain, la valeur d’un combattant rifain équivaut à quatre ou cinq militaires étrangers, ce calcul n’a plus de sens quand les 15 000 ou 20 000 combattants rifains, sans l’appui de l’aviation et d’une puissante artillerie lourde, doivent se battre contre 450 000 hommes. Parent apprend que Abdelkrim a bien songé un moment à aller combattre directement au front à la tête des ses harkas. Un suicide pour l’honneur, dont il sera dissuadé par ses proches.
Finalement, l’émir envoie deux lettres à Pierre Parent avec pour mission de les remettre en mains propres à leurs deux destinataires, le résident français Théodore Steeg et le haut commissaire espagnol, le général José Sanjurjo. Abdelkrim a décidé de «s’en remettre à la générosité de la France». Au passage, il annonce à Parent que les prisonniers seront libérés. Avec le sentiment d’être le messager qui porte deux missives qui vont mettre fin à la guerre, Pierre Parent se rend vers les lignes espagnoles, près d’Ajdir, où il est pris en charge par les Espagnols puis dirigé vers Mélilia où il est reçu par le général Sanjurjo. Quant à la lettre destinée à Steeg, il la remet en mains propres à son destinataire à Fès.
Le temps des adieux
Pierre Parent ne reviendra plus au Rif. Trois jours après son arrivée à Fès, il apprend que l’émir s’est rendu aux Français. D’autres intermédiaires se sont introduits dans l’entourage de Abdelkrim pour le pousser à une reddition sans condition. Le 21 août, Abdelkrim embarque avec sa famille dans un bateau en partance vers l’exil. Avant de partir, il demande à voir Pierre Parent. Après une brève conversation chargée d’émotion, Abdelkrim se laisse aller. Il est triste de quitter son pays, il n’a jamais voulu la guerre avec les Français. «Adieu!», dira-t-il à Parent avant d’entreprendre le long chemin vers l’île de la Réunion, un caillou situé dans l’océan Pacifique.
Pierre Parent restera au Maroc. Au début de la Seconde guerre mondiale, il s’engage dans la résistance. Député du premier parlement de l’après-guerre, il est aussi l’un de ces rares Français du Maroc à prendre fait et cause pour le nationalisme marocain. L’homme qui a convaincu Abdelkrim de se rendre meurt à Rabat en 1957. Dans un Maroc indépendant.

Pierre Parent, le Marocain

La seule source, hors archives, qui nous renseigne sur les péripéties vécues par Pierre Parent au Maroc et ailleurs, se trouve dans les cartons des sous-sols de l’Assemblée nationale, où il est passé en tant que député. D’après la fiche technique du catalogue répertoriant les biographies de tous les membres des parlements successifs depuis le XIXe siècle, « on ne sait que très peu de choses de la jeunesse » de Pierre Parent. Mais la suite de sa carrière politique est mieux connue.
Ainsi, après la Guerre du Rif (1921-1927), il devient le chantre de l’amitié franco-marocaine, puis il est élu en 1928 président de l’Inter-fédération nord-africaine des victimes de la guerre. En 1934, il est l’auteur d’une brochure intitulée Français et Marocains. Réflexion d’un Français moyen, où il dénonce « l’insuffisance et les limites de l’œuvre coloniale accomplie jusqu’alors, plus particulièrement dans les domaines de l’éducation et de l’hygiène publique ». Avec le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, ce héros de la guerre de 1914-18 rejoint la résistance à Alger dès 1941 et, en 1943, repart au Maroc comme délégué d’un mouvement de résistance. C’est à ce titre qu’il siège à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger dès janvier 1944, une sorte de parlement en exil. Elu président des anciens combattants de l’empire français, il devient une figure de la vie marocaine, « aimé des autochtones comme de ses collaborateurs français ».
Lors des premières élections de l’après-guerre, en octobre 1945, Pierre Parent préside une liste dite d’Union démocratique et antifasciste qui recueille 17 609 voix des 65 937 suffrages exprimés au Maroc. Il est alors élu sous l’étiquette « républicain résistant ». Par la suite, il ne se représentera plus aux élections, préférant s’investir dans l’action locale, au Maroc. A partir de ce moment, il adhère, avec d’autres grandes consciences françaises, à la cause marocaine, c’est-à-dire à l’indépendance du pays. Comme d’autres Français libéraux, il sera expulsé du Maroc en 1952. Il écrit alors deux essais pour défendre ses idées et pour alerter les Français de l’Hexagone du « problème marocain ». Dans l’un d’eux, il s’en prend particulièrement au maréchal Alphonse Juin qui est devenu, après son départ de la Résidence générale, l’éminence grise de son successeur, le général Augustin Guillaume. Parent en rappelle notamment le passé vichyste. Quand il rend l’âme en 1957, le colon Pierre Parent est, depuis longtemps, un Marocain de cœur.


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